« Voyage au Sénégal, voyage en moi » – récit de voyage de Marilou, 7e promo IMPOWER

photo marilou sénégalJe suis Marilou, une jeune femme timide, réservée et un peu paumée dans la vie. Depuis des années, je souhaitais m’engager dans des associations, car j’ai un fort sens des valeurs et de la justice. Seulement, mon problème était le suivant : mon anxiété sociale, qui me paralysait à chaque fois que l’envie de m’engager s’emparait de moi. Ma peur de l’autre était bien trop forte pour que mon envie de m’engager ne la dépasse. C’est pourquoi je me suis engagée chez Yaka, qui me semblait plus accessible, même si l’idée de me trouver entourée de jeunes de mon âge me faisait tout de même très peur. J’avais besoin, à cette période de ma vie, de changement.

C’est ainsi que je me suis retrouvée, tous les samedis, au milieu d’une trentaine de jeunes de mon âge, qui étaient à la fois radicalement différents de moi et assez proches de moi ; ce qui nous réunissait, c’était nos valeurs mais également cette envie d’engagement et de changement, à l’échelle personnelle comme mondiale.

Et le jour où j’ai dû monter dans l’avion avec onze autres lauréats, que je connaissais à peine à cause de ma timidité, j’étais tellement paniquée : moi qui ne supportais pas de rester avec eux trois heures par semaine le temps d’un atelier, j’allais les côtoyer à temps plein pendant cinq semaines ?! La peur m’a tordu l’estomac pendant des jours entiers, je dormais à peine les dernières nuits avant le départ. Cela s’est calmé seulement une fois dans l’avion, lorsque je me suis retrouvée entre Yanis et Justine, avec qui nous nous sommes confiés pendant le vol. J’étais donc capable d’avoir une conversation profonde avec des gens que je ne connaissais pas si bien ! Quel soulagement.photo marilou sénégal

15 juillet, 6 heures du matin : je dépose ma grosse valise rouge sur le sable de Soussane, petit village côtier à 3 heures de voiture de Dakar. Je fais la bise à toutes les femmes qui nous accueillent, ce qui ne semble pas beaucoup leur plaire. On appelle mon prénom, je dois suivre ce jeune homme, Abdou, qui porte ma valise de 25 kg sur le sommet de son crâne, comme si elle pesait 500 g. Après dix minutes de marche, j’arrive dans le petit hameau de la famille Kama. On m’installe dans une pièce au fond de la cour arrière, à côté de deux petites cases abîmées, dont l’une abrite des chèvres maigres attachées par une patte à des poteaux de bois. Ma nouvelle chambre, qui contient une chaise rouillée, un tapis violet, un petit meuble cassé et une paillasse dure et sale, me semble tellement loin de ce que j’avais imaginé. Je m’installe sur la paillasse et une question tourne en boucle dans ma tête, m’empêchant de dormir : « qu’est-ce que je fais là ? »

20180727_094158J’ai vite compris que cette chambre était ce que la famille Kama avait de mieux à mettre à ma disposition. Et que ce qui allait enrichir mon voyage, c’était justement d’être confrontée à cet inconfort qui s’est révélé pas si inconfortable par la suite. Les douches à l’eau froide à 7h30 du matin, les petits-déjeuners à base de pommes de terre et de pain pas toujours très frais, la basse-cour qui me réveille à 6h tous les matins ou encore la marche en plein soleil pour atteindre l’école du village : tout cela a vite pris du charme et m’a fait découvrir que j’étais quelqu’un de particulièrement positif et résilient. En effet, lors de nos réunions « météo du moral » des premières semaines, les autres lauréats respectaient (un peu trop bien) cette bonne tradition française qu’est la râlerie. Bien qu’il m’ait rattrapée quelques semaines plus tard, ce réflexe de mécontentement ne m’est pas venu tout de suite.

Durant les première réunions, il m’était impossible de parler. J’écoutais tout le monde râler, négocier, discuter, mais impossible d’émettre un son bien que je n’en pensais pas moins. « Marilou, pourquoi tu ne parles pas ? », « Dis-nous, Marilou, qu’est-ce que tu en penses ? ». Je pense que je suis venue ici un peu par hasard, et pas pour les mêmes raisons que vous… Je ne compte pas m’investir dans les ateliers hebdomadaires avec les locaux, je ne compte pas vous aider avec ce programme de micro-développement, ni passer des heures avec vous à négocier tel ou tel détail. Je suis venue parce que je commence à peine à sortir de cinq ans de dépression et que j’espère que ce voyage va miraculeusement me guérir.

20180727_102315Pourtant, je me suis moi-même étonnée : j’ai fini par m’investir dans l’organisation de plusieurs ateliers avec les locaux, j’ai commencé à prendre la parole au milieu de tout le monde, ce qui m’avait toujours terrorisée (les gens étaient donc intéressés par ce que je disais ! Ma parole comptait !), je me suis investie dans le groupe, dans le village, dans ma famille d’accueil. J’ai découvert que j’avais une utilité, des atouts à mettre en avant, et que je pouvais être complémentaire à d’autres individus au sein d’un groupe. J’ai fini par me rapprocher de ma famille d’accueil, ce qui n’était pas gagné. J’ai découvert des lauréates et lauréats qui m’intimidaient avant le départ ; ces personnes étaient en fait profondément géniales et seuls mes préjugés m’ont empêchée de les découvrir avant le voyage.

20180803_11461020180730_101154La plus grosse contrainte de ce voyage s’est par la suite révélée en être le plus grand atout : l’absence d’écrans et de communication avec nos proches en France. Tout simplement, cela m’a permis d’apprendre à occuper le temps autrement ; j’ai pris conscience du caractère chronophage de ces petites machines mais également de leur impact sur ma vie au quotidien et ma sociabilité. Si je ne me suis jamais sentie aussi bien que pendant ces quelques semaines au Sénégal, c’est parce que j’étais constamment intégrée à une communauté dans laquelle j’étais investie, mais également parce que j’étais loin du stress, de l’overdose de stimulis et des relations toxiques que j’entretenais avec certains de mes proches. Cette mise à distance a été des plus bénéfiques.

20180721_165208Partir aussi loin, géographiquement comme spirituellement, c’est s’obliger à se confronter à ses habitudes, à les remettre en question mais aussi les changer lorsque l’on revient. C’est découvrir l’impact de ses actes et de ses paroles, c’est se sentir exister et apprendre à se mettre en valeur. C’est découvrir d’autres systèmes de pensée, d’autres façons de faire, des personnes très inspirantes. Malgré toutes les difficultés auxquelles j’ai été confrontée là-bas (qui, en fait, étaient liées surtout à ma vision étriquée du confort), j’en garde un souvenir très positif : je suis revenue profondément changée, avec la certitude que je peux faire quelque chose de positif et fort dans ce monde. À mon retour, j’ai tout remis à plat : mon orientation, mes relations, ma vision du monde et de moi-même. J’ai fait 4000 km en avion pour aller jusqu’au Sénégal, mais j’ai voyagé bien plus que cela en moi ; peut-être bien que ce voyage a fini par « miraculeusement » me guérir de mon état dépressif permanent.

Filles au Sénégal

Quelques unes des filles de la famille Kama, avec lesquelles j’ai passé beaucoup de temps à faire des grimaces et préparer le tieboudien (riz au poisson)