« Engagement à tous les étages » – ELLE Magazine, 11 janvier 2019

ENGAGEMENT À TOUS LES ÉTAGES
ELLE – vendredi 11 janvier 2019

L’article sur Internet se trouve ici.

NOUVEAU HAUT-LIEU DE LA SOLIDARITÉ INSTALLE AU CŒUR DE LA CAPITALE, L’ASCENSEUR PARIS-BASTILLE ACCUEILLE DES ASSOCIATIONS ŒUVRANT POUR L’ÉGALITÉ DES CHANCES. UNE PREMIÈRE

« Les fenêtres, on vous les pose où ? », lance un monsieur tout en bras. En ce lundi de décembre, c’est l’effervescence dans cet immeuble haussmannien du boulevard Bourdon, à deux pas de la place de la Bastille, à Paris. Le rez-de-chaussée est en travaux, des affichettes indiquent les noms des locataires, mais, dans les étages, les derniers arrivants prennent les mesures pour ajouter une étagère tandis que d’autres sont déjà au travail. Depuis les balcons, on aperçoit au loin l’ange perché au sommet de la colonne de Juillet. Bon présage ? Symbole révolutionnaire, oui ! Car entre ces murs, dans ce nouveau lieu baptisé « L’Ascenseur », on est bien décidé à ouvrir les horizons et le champ des possibles. Ce sont pas moins de vingt et une associations qui y cohabitent pour offrir un meilleur accès à l’éducation, à l’emploi et à la culture aux jeu nés de milieux défavorisés.
Un immeuble parquet-moulures-cheminées tout entier consacré à l’égalité des chances ? Du jamais-vu ! Ce projet utopique est né de la rencontre de deux hommes engagés, Benjamin Blavier, de l’association Article 1, qui accompagne les jeunes de milieux modestes depuis leur orientation jusqu’à leur insertion professionnelle, et Saïd Hammouche, le patron du cabinet de recrutement Mozaïk RH, surnommé le « DRH des cités ». « Avec Saïd, nous nous connaissons depuis longtemps, raconte Benjamin Blavier, ancien cadre chez SFR. Nous rêvions d’un endroit dans lequel nous pourrions mutualiser nos efforts pour aider les jeunes. Quand nous sommes tombés sur ce magnifique immeuble, nous nous sommes dit : voilà, notre maison de l’égalité des chances » Ce projet un peu fou séduit même une banque, BNP Paribas, sous la houlette d’Antoine Sire, directeur de l’Engagement d’entreprise du groupe, qui décide de financer L’Ascenseur en prenant notamment en charge l’intégralité du loyer du rez-de-chaussée pour les six années du bail.
En avril 2018, un appel à candidatures est lancé afin d’attribuer les 2 300 mètres carrés sur 8 étages et les 250 postes de travail : « Nous avons reçu une quarantaine de candidatures, explique Saïd Hammouche. Nous avons choisi les associations les plus motivées, les plus expérimentées et surtout celles qui étaient prêtes à tout partager, leur carnet d’adresses, leur expérience du digital, leurs compétences. Ce n’est pas du coworking, c’est une aventure commune. »
Résultat : à chaque étage, les portes sont grandes ouvertes, et, dans les kitchenettes communes, des débats enflammés se succèdent et des réunions s’improvisent : « Nous partageons la machine à café, mais surtout les bonnes idées, s’enthousiasme Claire de Mazancourt, à la tête de l’Institut de l’engagement, qui aide chaque année 700 jeunes à trouver un job même s’ils n’ont « ni le bon diplôme, ni le bon nom, ni la bonne adresse ». Cette quadra vient d’organiser sa première réunion entre « voisins de palier » : autour de la table, Benenova, qui met en relation associations et bénévoles, La Chance, qui démocratise l’accès aux concours des écoles de journalisme, et Crésus, qui lutte contre le surendettement : « Chacun s’est présenté, a décrit ses besoins et, en une heure, on s’est déjà mis d’accord sur plusieurs actions communes. On parle la même langue, on a les mêmes convictions. On est là pour se retrousser les manches et pour réparer l’ascenseur social. » Julie Perrin, de Crésus, est sur la même longueur d’onde : « Nous allons former les 250 lauréats de l’Institut de l’engagement à la gestion de leur budget, on a l’impression que tout est possible ! »

 

ON EST LÀ POUR SE RETROUSSER LES MANCHES ET POUR RÉPARER L’ASCENSEUR SOCIAL

CLAIRE DEMAZANCOURT, DIRECTRICE DE L’INSTITUT DE L’ENGAGEMENT

Au troisième niveau, dans le bureau de Yes Akademia, l’excitation créée par cette aventure citoyenne et solidaire est palpable : « C’est formidable d’être tous réunis, confie Sarah Gogel, la fondatrice, on s’épaule, on s’entraide. Quand on ressent du découragement face à l’immensité de la tâche, on monte d’un étage, on discute et on est reparti pour un tour ! » Sur les murs des bureaux, des affiches avec des slogans très « feel good » comme : « Leur avenir en grand », « Confiance », « On prend la parole »… Les salles de réunion portent des noms comme « Espoir » ou « l’Everest ». Naïf ? Réaliste, au contraire, car c’est bien une montagne de préjugés et d’obstacles qu’ont à franchir les jeunes nés loin des beaux quartiers ou issus de milieux sociaux défavorisés quand ils doivent trouver leur voie professionnelle. Selon l’Institut Télémaque, installé également à L’Ascenseur, 31% des collégiens de REP+ font un stage en lien avec leur orientation après la troisième contre 5 6 % des collégiens hors éducation prioritaire ; les enfants d’ouvriers ont onze fois moins de chances de réussir au bac que les enfants de cadres ; 75% des collégiens de REP+ réussissent leur brevet versus 90% hors éducation prioritaire… Virginie SaImen, cofondatrice de Viens voir mon taf, est convaincue de la nécessité de se rassembler pour lutter plus efficacement contre les discriminations en s’attaquant à chaque maillon de la chaîne, école, stage, job, culture : « N o u s aidons les collégiens sans réseau à décrocher leur stage de troisième, Fête le mur intègre les jeunes grâce au sport, Become organise des séjours pour les ad os afin de leur donner le goût de l’engagement, Les Concerts de poche fait découvrir la musique classique à un public qui n’a pas l’habitude d’en écouter, La Cravate solidaire récolte des costumes et des ta il leurs (et des cravates !) pour aider des candidats à préparer leur entretien d’embauche. Partager des bureaux avec tous ces acteurs de l’inclusion et de la diversité facilite des tas de choses, comme les démarches administratives, que l’on fait ensemble. Cette année, certains de nos jeunes vont certainement effectuer leur stage au sein de L’Ascenseur ! C’est un cercle vertueux. »
Un renvoi d’ascenseur qui se fait aussi dans la bonne humeur à l’heure du déjeuner. Aujourd’hui, c’est Mathilde qui présente les succès de Time2Start et ses entrepreneurs « issus des quartiers ». De quoi inspirer les bénévoles assis autour de la table. Un réseau sur Facebook est utilisé comme messagerie interne ; chacun y poste offres d’emploi et actualités. Même Eloquentia, la fameuse association de Seine-Saint-Denis qui forme à la prise de parole les collégiens et les lycéens, a pris un bureau à L’Ascenseur. De nombreux ateliers de formation à l’entretien d’embauche sont déjà organisés dans les sa Iles encore en rénovation. Adel Boughazi, 23 ans, et Louis Augustin Mbagnick Sène, 25 ans, sont tous les deux passés par Yes Akademia, l’une des dernières associations à s’être établie à L’Ascenseur. Adel, après être parti en Inde pour aider d’autres jeunes pendant quarante-cinq jours, continue d’être bénévole à L’Ascenseur : « Je suis passé donner un coup de main pour le déménagement et aussi pour fêter l’anniversaire de Louis Augustin, qui a 25 ans aujourd’hui, notre asso, c’est une grande famille ! Venir ici, dans un si bel immeuble, c’est vraiment génial et super motivant ! » Louis Augustin, né dans un village très pauvre du Sénégal, est aujourd’hui secrétaire général du comité de jeunes de Yes Akademia dans son pays et effectue son service civique à Paris au sein de L’Ascenseur. « On voulait qu’à chaque étage nos bénéficiaires trouvent un interlocuteur pour leur donner un coup de main, explique Saïd Hammouche. Nous installer au cœur de Paris nous a permis de rendre les problématiques de l’égalité des chances plus visibles par tous : les politiques, les pouvoirs publics, les journalistes.
Afin de leur dire : Nous sommes là, on existe, on a des solutions, venez nous voir Et puis, ce bel immeuble indique aussi à nos jeunes que l’on veut le meilleur pour eux, l’excellence, et pas un avenir au rabais. Ils ont droit au meilleur. » Non loin, dans le ciel de Paris, l’ange de la Bastille y veillera.